Comme si c’était la première fois PAULO COELHO Je veux croire que je vais regarder chaque jour comme si c’était la première fois. Voir les personnes qui m’entourent surpris et émerveillé, joyeux de découvrir qu’elles sont à mes côtés pour partager quelque chose que l’on appelle amour, dont on parle beaucoup et que l’on comprend mal. Je monterai dans le premier autobus qui passera, sans demander dans quelle direction il va, et je sauterai dès que j’apercevrai quelque chose qui attire mon attention. Je passerai près d’un mendiant qui me demandera une petite pièce. Je la lui donnerai peut-être, peut-être penserai-je qu’il va la dépenser en boisson, et je poursuivrai mon chemin – écoutant ses insultes, et comprenant que c’est sa manière de communiquer avec moi. Je passerai près d’un individu qui essaie de détruire une cabine téléphonique. Je tenterai peut-être de l’en empêcher, mais je comprendrai peut-être qu’il fait cela parce qu’il n’a personne à qui parler à l’autre bout de la ligne, et cherche ainsi à chasser sa solitude. Je regarderai tout comme si c’était la première fois – surtout les petites objets auxquels je suis habitué, oubliant la magie qui m’entoure. Les touches de mon ordinateur, par exemple, qui bougent avec une énergie que je ne comprends pas. Le papier qui apparaît sur l’écran, et qui depuis longtemps ne se présente plus de manière physique, même si je crois écrire sur une feuille blanche, sur laquelle il est facile de corriger en appuyant simplement sur une touche. À côté de l’écran de l’ordinateur s’accumulent des papiers que je n’ai pas la patience de mettre en ordre, mais si je pense qu’ils cachent des nouveautés, toutes ces lettres, notes, coupures, reçus, acquerront une vie propre, et ils auront de curieuses histoires – passées et à venir – à me raconter. Tellement de choses dans le monde, tellement de chemins parcourus, tellement d’entrées et de sorties dans ma vie. Je vais mettre une chemise que je porte toujours et, pour la première fois, faire attention à son étiquette et à la façon dont elle a été cousue, et je vais tâcher d’imaginer les mains qui l’ont dessinée et les machines qui ont transformé ce dessin en un objet matériel, visible. Et même les choses auxquelles je suis habitué – l’arc et les flèches, la tasse du petit déjeuner, les bottes qui sont devenues une extension de mes pieds après que je les ai beaucoup portées – seront revêtues du mystère de la découverte. Tout ce que ma main touche, que mes yeux voient, que ma bouche goûte, doit être maintenant différent, même si rien n’a changé pendant des années. Ainsi, cessant d’être une nature morte, ces choses me transmettront le secret de leur si longue présence auprès de moi, et le miracle des retrouvailles se manifestera par des émotions que la routine avait détruites. Je veux regarder pour la première fois le soleil, si demain il fait soleil, les nuages, si demain le temps est nuageux. Au-dessus de ma tête, il y a un ciel auquel toute l’humanité, durant des milliers d’années d’observation, a déjà donné une série d’explications raisonnables. Alors, j’oublierai tout ce que j’ai appris au sujet des étoiles, et elles redeviendront des anges, ou des enfants, ou n’importe quoi si j’ai envie d’y croire à ce moment-là. Le temps et la vie ont tout rendu parfaitement compréhensible – et moi, j’ai besoin du mystère, du tonnerre, qui est la voix d’un dieu en colère et pas une simple décharge électrique qui provoque des vibrations dans l’atmosphère. Je veux remplir de nouveau ma vie de fantaisie, parce qu’un dieu en colère, c’est beaucoup plus curieux, terrifiant et intéressant qu’un phénomène physique. Et enfin, je dois me regarder moi-même comme si j’étais pour la première fois en contact avec mon corps et mon âme. Je dois regarder cette personne qui marche, qui sent, qui parle comme n’importe quelle autre, m’étonner de ses gestes les plus simples, comme parler avec le facteur, ouvrir le courrier, contempler sa femme endormie à ses côtés, se demandant à quoi elle est en train de rêver. Ainsi, je resterai ce que je suis et ce qu’il me plaît d’être, une surprise constante à mes propres yeux. Ce moi qui n’a été créé ni par mon père ou ma mère, ni par mon école, mais par tout ce que j’ai vécu jusqu’à ce jour, que j’ai subitement oublié et que je suis en train de redécouvrir. |
mardi 20 décembre 2011
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